Se sentir vivant... le jour d'après

Une brève relecture de ce nous a obligés à faire l'épreuve du Covid19.

Se sentir vivant

 

La période de crise sanitaire que nous traversons, avec ses conséquences familiales, économiques, spirituelles et tant d’autres, nous a obligés à recomposer notre quotidien. Dans un hôpital de campagne, puisque nous sommes en guerre sanitaire, on va à l’essentiel pour préserver la vie. C’est ainsi que nous sont apparues les relations, et les choses auxquelles nous tenions le plus et d’autres qui se sont avérées de moindre intérêt. Pour continuer à vivre, des équilibres que l’on pensait établis se sont déplacés.


Pour savoir si quelqu’un vivait, un des réflexes les plus anciens consistait à vérifier la circulation des fluides : le coeur battait-il encore ? la respiration se manifestait-elle toujours ? Le changement brutal de vie que nous venons de vivre nous a obligé à prendre conscience de ce qui faisait battre notre coeur, et quelle respiration lui permettait de tenir son rythme. Les mots ont pu manquer à tel ou tel pour formaliser cette aventure. Des sensations nouvelles ont pu apparaître et nécessiter un travail sur soi pour les comprendre et découvrir de
nouveaux horizons et une profondeur intérieure que l’on n’avait pas coutume de fréquenter plus que cela. Tout ce temps nous a renvoyé à cette question si fondamentale : « Qu’est-ce qui fait que je me sens vivant ? »


Le Conseil Famille et Société de la Conférence des Evêques de France a essayé de relire ces derniers mois dans les champs qui relèvent de sa compétence : famille, travail, politique, Europe, développement durable, numérique, santé, justice, paix, prison, tourisme et loisir, …Tout lem onde a pu constater que partout des tensions, connues par ailleurs, ont été exacerbées. Entre l’intérêt général et le droit des personnes ; entre la mondialisation et la relocalisation ; entre la nécessité de contrôler et la soif de liberté ; entre le goût de
l’indépendance et l’expérience de l’interdépendance ; entre le virtuel et le réel, le distanciel et le présentiel ; entre le travail avec les autres et le télétravail ; entre les générations ; entre la préservation de sa santé et la solidarité avec autrui ; … pour n’en citer que quelques-unes.


Pour garder l’image du corps, nous savons tous qu’il existe des analogies entre le corps propre de chacun, le corps conjugal et familial, le corps d’une entreprise ou encore le corps social d’une nation. A quelque niveau que nous nous situions, dans la tempête que nous finissons de traverser – nous l’espérons – qu’est-ce qui a maintenu les battements du coeur, qu’est-ce qui est apparu vraiment nécessaire ou plus secondaire ? Quelles ont été les respirations indispensables qui nous ont permis de demeurer en vie ?


Plusieurs grilles de lectures peuvent nous permettre d’analyser ce temps si particulier. Ainsi, chacun de nous se trouve dans un espace « bordé » par des réalités anthropologiques majeures : la famille, le travail, les loisirs, la consommation et la spiritualité. Une fois le choc de la première déstabilisation absorbé, le nouvel équilibre retrouvé s’est-il construit ou a-t-il été purement et simplement subi ? Avons-nous pu garder, voire créer, un peu de liberté de telle sorte que les choix réalisés manifestent les sources qui font vraiment battre notre coeur ?


Pour ma part, je considère l’évangile du riche qui fait des projets de greniers encore plus grands et de jouissances de ses biens et à qui on redemande le soir même sa vie (Lc 12, 13-21) très éclairant pour notre temps. Je voudrais ici faire deux remarques : Tout d’abord, il est impressionnant d’observer des entreprises parmi les plus florissantes et à qui un avenir
radieux était promis (Airbus, les pétrolières, le tourisme …) mises à terre et devoir réviser complètement leurs modèles économiques. Tout cela à cause d’un minuscule petit virus qui fait le tour de la planète. Nous sommes bien plus fragiles que nous le pensons. Notre système mondial serait-il une statue à la tête d’or et aux pieds d’argile ? (Dn 2, 24-49) ?

 

Ensuite, il faut admettre que nous avons subi notre interdépendance planétaire. Sur le plan sanitaire, nous avons reçu et transmis le virus mais nous avons aussi partagé les moyens de production des outils de protection et de soin. Par ailleurs, l’expérience des limites de la délocalisation des moyens de production et du modèle économique du flux tendu (pas de stock et livraison juste à temps) a immédiatement engendré la tentation de retrouver une indépendance de production en rapatriant au plus près de nos pays ce qui est apparu essentiel pour gérer la crise et préserver la vie des populations (soignants et autres).


Il faudrait que nous réfléchissions aux tentations de repli sur soi que nous avons éprouvées, de la plus modeste des familles (faire des réserves alimentaires au-delà du nécessaire) aux États les plus puissants (rapatrier les moyens de production, …). Ce réflexe est très profond et il est difficile de prendre du recul face à cette lame de fond. Admirables sont ceux qui n’ont pas pris prétexte du confinement pour se replier sur eux-mêmes. St Maximilien Kolbe, confiné dans un bunker pour y mourir de faim avec d’autres compagnons, avait su trouver dans sa foi les ressources pour convertir en profondeur spirituelle ce dont ils avaient été privés en termes d’espace et de nourriture. Il nous faut désormais découvrir vers quelle anthropologie fondamentale (ou superficielle) nous a conduits cette période de confinement. Sans doute aussi, travailler à une interdépendance qu’il nous faut réfléchir, vouloir, construire et organiser sur une vision sociétale commune.

Il ne faut sans doute pas mettre tous ses oeufs dans le même panier ni croire qu'en ce monde, on pourra s'en sortir tout seul. « Tout est lié ». C’est plus que jamais d’actualité.

 


+ Bruno Feillet
Evêque auxiliaire de Reims
Président du Conseil Famille et Société
24 juillet 2020