Revisiter son sacrement de mariage

Un regard sur le rituel du sacrement du mariage, sur la vie des saints époux Louis et Zélie Martin et sur Amoris laetitia.

Revisiter son sacrement du mariage

En la fête du mariage des saints époux Martin

En l’église Saint Pierre de Montsort, Alençon le 13 juillet 2024

 

 

Chers amis, en ce jour où l’Eglise fête l’anniversaire du mariage des saints époux Martin, je voudrais évoquer avec vous quatre thèmes pour que vous puissiez vous-mêmes, revisiter l’engagement que vous avez pris il y a peu ou il y a longtemps.

  1. La nature de l’engagement
  2. L’échange des consentements
  3. Le contenu des préfaces et des bénédictions de la messe du mariage
  4. Le temps, un allié pas si simple

La nature de l’engagement.

Depuis des décennies, nous avons coutume d’entendre parler des quatre piliers du mariage : la liberté, la fidélité, l’indissolubilité et la fécondité. Ils ont été rassemblés ensemble parce que le défaut sur l’un des quatre entraine le défaut global de l’engagement dans le mariage, son invalidité. Mais ils ne sont pas de même nature. Je les reprends sobrement :

La liberté n’est pas à vrai dire un engagement. Elle est plutôt l’écrin dans lequel les trois engagements peuvent se prendre de manière adulte et responsable. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce que signifie s’engager « librement et sans contrainte ».

En réalité, nous sommes tous confrontés à une multitude de déterminismes comme notre corps et notre sexe, avec son âge, ses cicatrices et ses limites. Notre corps, c’est le précipité et le résumé de notre histoire. Nous avons une autre série de déterminismes qui influencent notre vie comme tout ce qui vient de notre éducation et qui nous donne des repères et des réflexes pour notre vie quotidienne dont nous avons plus ou moins conscience. Enfin, il y a tous les déterminismes qui viennent du monde dans lequel nous vivons tant sur le plan politique, social ou encore environnemental. C’est au sein de ces trois déterminismes fondamentaux que notre liberté fondamentale peut s’éprouver et s’exprimer.

Cette liberté est double : celle qui relève de notre libre-arbitre, notre capacité de prendre des décisions et de les assumer. C’est cette liberté qui est sollicitée par la question : « Est-ce librement et sans contrainte ? ». Sans contrainte mais au sein des déterminismes dans lesquels nous vivons. Mais il est une autre liberté encore plus importante : celle que nous éprouvons comme une libération. « Depuis que nous avons décidé de nous marier, nous nous aimons plus » me disait un couple de fiancés. Un engagement qui libère ! Qui libère pour un parcours de vie, qui libère l’ouverture à la vie, qui ouvre la porte aux anniversaires de mariage. Il est extrêmement important d’être attentif à cette libération intérieure que produit l’engagement le plus ferme.

Les trois autres piliers de nature différente puisqu’ils sont l’objet d’un engagement explicite :

La fidélité. Elle est trop souvent comprise par les fiancés comme ne pas être infidèle. Ce qui est un peu court. Quel contenu positif lui donner ? Celui de mener à bien un projet commun, le projet d’une vie commune malgré les aléas que l’avenir nous donnera de traverser. Un projet qui ne se dit pas en terme matériel mais d’abord dans le développement d’une qualité relationnelle. Si on ne sait pas où on va, on ne peut savoir comment résoudre les crises. Cette fidélité peut encore être comprise comme le choix de travailler sans cesse au bonheur du conjoint parce que l’autre s’est engagé à faire de même. Et il y a certainement beaucoup d’autres choses à dire.

L’indissolubilité. Il s’agit de l’engagement à vie. « Amour toujours » disent les poètes. Ce n’et pas que du romantisme. C’est bien plus que cela. Ce n’est pas non plus un piège dont on ne pourrait sortir comme si s’engager à vie, c’était « se passer la corde au cou ». En fait, l’indissolubilité est une grâce et un cadeau que se font les époux l’un à l’autre : « rien ne pourra défaire le lien que nous contractons aujourd’hui » ; « la parole que nous échangeons aujourd’hui, nous la tiendrons demain ».

Cette indissolubilité est à la fois le désir profond des époux, mais c’est aussi une des paroles les plus originales du Christ dans les Evangiles. Lorsqu’il commente la question du divorce et du mariage devant ses interlocuteurs, il cite le deuxième chapitre de la Genèse : « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Tous les deux, l’homme et sa femme, étaient nus, et ils n’en éprouvaient aucune honte l’un devant l’autre » Gn 2, 24-25. Mais il ajoute de son propre chef : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ». Dans la tradition biblique, il ne faut rien ajouter ni rien retrancher à la Parole de Dieu. Voilà que Jésus ajoute une parole de sa propre autorité. Et nous sommes sûrs de son authenticité, parce que les apôtres sont embarrassés au point de dire : « Si telle est la situation de l’homme par rapport à sa femme, mieux vaut ne pas se marier » Mt 19, 10. Cet embarras, est le premier des critères les plus solides pour affirmer que ce qui est un transmis par les apôtres est vraiment une parole certaine du Christ, car ils l’attestent malgré leur embarras pour ne pas dire leur désaccord.

La fécondité. D’abord et avant tout, il s’agit pour le couple de s’ouvrir au don de la vie, à l’accueil d’enfants et à leur éducation. C’est à la fois un désir puissant et en même temps un projet incertain. Nous le savons, la fertilité d’un couple relèvent de nombreux facteurs qui ne sont pas uniquement d’ordre médical.

Aujourd’hui, se font jour de plus en plus des théories qui justifient le refus des enfants en raison de l’avenir incertain de notre planète. On trouve ça chez les collapsologues. C’est pourquoi choisir de mettre au monde des enfants relèvent tout autant d’un désir qui vient du fond des âges que d’un geste d’espérance qui vient dépasser et emporter au loin des craintes légitimes.

Faut-il aussi rappeler que les données démographiques qui attestent d’une baisse régulière du taux de fécondité en France et dans les pays développés s’affrontent aux sondages qui attestent qu’en moyenne l’écart entre le nombre d’enfants par femme est inférieur dans les faits par rapport à celui qui serait désiré : 1,7 contre 2,6. Les conditions économiques, la taille des logements et bien d’autres facteurs peuvent en être la cause.

Il reste, bien sûr, que la fécondité d’un couple peut s’étendre bien au-delà des seuls enfants. Et c’est parfois dans ces autres lieux de la vie conjugale qu’un couple peut découvrir sa vocation dans la capacité à faire grandir la vie autour d’eux. Dans des associations, dans une capacité éducative, dans une amitié fidèle, dans des engagements portés ensemble…

 

Les formules sacramentelles sont instructives

Vous savez comme moi, que ce sont les époux qui se marient par l’échange de leur consentement en présence des témoins et d’un représentant qualifié de l’Eglise, un prêtre ou un diacre.

L’Eglise reconnaît aujourd’hui quatre formules d’échange des consentements. L’analyse des verbes qui sont utilisés évoquent les différentes facettes de l’engagement qui est pris.

I° formule :

Moi, je te reçois comme époux-épouse ; je te promets d’être fidèle ; pour t’aimer

2° formule :

Veux tu être ma femme (mon mari) ? Je le veux. Je te reçois comme époux-épouse, je promets de t’aimer fidèlement…

3° formule :

Veux-tu être ma femme ? Je le veux et toi… Je te reçois et je me donne à toi… Pour nous aimer fidèlement… et nous soutenir

4° formule :

Voulez-vous prendre comme époux-épouse et promettez-vous de lui rester fidèle pour l’aimer ? Oui.

Les verbes utilisés ne manquent pas de sens :

Te recevoir et me donner ; promettre ma fidélité et t’aimer ; nous soutenir ; prendre l’autre comme un époux-épouse. Enfin, le verbe qui revient le plus souvent et vouloir. Vous noterez aussi que le verbe aimer n’est pas la cause de l’engagement mais l’objectif : Les fiancés ne disent pas : « parce que je t’aime, je t’épouse » mais bien « je veux t’épouser et t’aimer ».

Remarquons que dans la dernière formule, on utilise le verbe « prendre ». Il ne s’agit pas de prendre quelqu’un comme un objet mais bien comme un époux ou une épouse, en tant qu’époux ou épouse. Or l’Ecriture nous apprend en Ep 5, 21-33 que l’époux est celui qui donne sa vie à sa femme et que l’épouse se soumet à son mari. Personne ne soumet l’autre mais chacun donne sa vie au conjoint de manière différenciée.

 

Une 5° formule audacieuse

Si je puis me permettre, j’ajouterais volontiers une cinquième formule tirée du sacrement de l’eucharistie. Jésus dit lors de l’institution : « Ceci est mon corps livré pour vous ». Pourrait-on imaginer que les époux se disent l’un à l’autre : « Ceci est mon corps livré pour toi et j’accueille le tien ». Il faudrait entendre le corps dans son extension la plus large : corps charnel et fécond, fait d’espoirs et de craintes, de limites et de talents. Et lorsque les époux communient au corps du Christ, c’est bien pour devenir ce qu’ils reçoivent, le corps livré du Christ, pour nourrir leur aptitude à se livrer à leur conjoint.

En écho à cette suggestion, à faire valider par le magistère suprême à qui il revient d’en décider ultimement, je vous cite le numéro 318 d’Amoris laetitia :

Le chemin communautaire de prière atteint son point culminant dans la participation à l’Eucharistie ensemble, surtout lors du repos dominical. Jésus frappe à la porte de la famille pour partager avec elle la cène eucharistique (cf. Ap 3, 20). Les époux peuvent toujours y sceller de nouveau l’alliance pascale qui les a unis et qui reflète l’Alliance que Dieu a scellée avec l’humanité à travers la Croix. L’Eucharistie est le sacrement de la nouvelle Alliance où est actualisée l’action rédemptrice du Christ (cf. Lc 22, 20). Ainsi, on se rend compte des liens intimes existant entre la vie matrimoniale et l’Eucharistie. La nourriture de l’Eucharistie est une force et un encouragement pour vivre chaque jour l’alliance matrimoniale comme « Église domestique ».

Ainsi donc, vous le percevez bien, la formule « ceci est mon corps livré pour toi » pourrait être à la fois le point de départ de l’alliance matrimoniale mais aussi sa nourriture quotidienne pour la consolider, voire la retrouver lorsque l’on entend aussi que le sang versé l’est aussi « pour la rémission des péchés ».

Les préfaces et les bénédictions de la messe du mariage

Les préfaces de la messe du mariage ouvrent la vision du mariage sur le temps et l’avenir. Chacune met l’accent sur une des dimensions déjà célébrées dans l’échange des consentements et parfois ajoutent d’autres perspectives :

Ainsi la 1° préface mais l’accent sur la fécondité du couple et les enfants à venir tant pour le bien du couple que pour celui de l’humanité ou de l’Eglise.

La 2nde, quant à elle, mettra l’accent sur signe que représente l’amour conjugal comme un reflet de l’amour de Dieu de telle sorte que « le sacrement célébré nous redise le merveilleux dessein de son amour ». La troisième préface est dans la même veine.

La quatrième préface, enfin, nous rappelle que « Dieu a fait l’homme et la femme à son image, et qu’il a mis en leur cœur l’amour qui les attache l’un à l’autre pour qu’ils ne soient plus qu’un ». Autrement dit, dans la vocation du mariage se joue la découverte et l’expérience d’un Dieu amour dont l’unité interne est une caractéristique fondamentale. Le Christ ne dit-il pas : « Mon Père et moi, nous sommes un » Jn 10, 30. Ainsi donc, dans l’expérience de l’unité conjugale se découvre un chemin privilégié pour faire l’expérience de Dieu.

 

Les bénédictions nuptiales prononcées par le prêtre ou le diacre sont extrêmement riches et leur commentaire exhaustif dépasserait largement le temps qui nous est imparti pour cet entretien.

Outre une constante qui consiste à resituer le mariage dans le plan de Dieu et le mystère de sa création, qu’il bénit abondamment le projet de l’alliance conjugale, notons quelques points qui n’ont pas encore été mentionnés jusqu’à présent.

Ainsi la première bénédiction Insiste sur l’unité du couple pour qu’ils deviennent un seul cœur et un seul esprit. Il est aussi notable que la bénédiction pour le couple se différencie pour chacun des membres du couple, pour l’homme et pour la femme dont les caractéristiques, sans y réduire la vie de l’homme à celle d’époux fidèle et de père attentif et celle de la femme à celui d’épouse et de mère pour qu’elle soit la joie de sa maison. Enfin, il est rappelé aux nouveaux époux leur destin : « donne-leur à tous deux la joie d’être un jour tes convives au festin de ton royaume ». Il est donc bien dit que le mariage est un chemin pour aller au ciel, et donc un chemin de sainteté. Qu’on arrête donc de dire que la sexualité conjugale est l’objet d’un soupçon de la part de l’Eglise. Souvenons-nous ici des saints Louis et Zélie Martin qui ont eu 9 enfants !

La quatrième bénédiction met l’accent sur la générosité du couple pour les autres, accueillant en particulier les plus pauvres. C’et bien cela qui était aussi vécu par les saints époux Martin. Ste Thérèse garde vivant le souvenir de la générosité de ses parents. Zélie raconte dans ses lettres les efforts de son mari pour trouver une solution administrative pour qu’un pauvre, qui n’avait pas encore atteint l’âge requis, puisse intégrer l’hospice. Les exemples sont nombreux.

Ainsi, à travers le rite du mariage, nous comprenons combien le couple chrétien est aussi appelé à ne pas se replier sur lui-même mais à s’ouvrir aux prochains et à orienter sa vie vers le Ciel. « Dieu premier servi », telle était la devise des saints Louis et Zélie Martin.

Le temps, un allié pas si simple

J’ai souvent entendu des époux dire que leur vie conjugale était meilleure après vingt ans de mariage qu’à leur tout début. C’est si vrai que si l’on franchit la cinquième année de mariage, plus on dure et plus on a de chance de durer. Le pic de divortialité en France depuis des dizaines d’années et la cinquième après les noces. Ensuite, si on divorce à tout âge, en fait, on divorce de moins en moins.

Lorsque je dis que le temps est un allié pas si simple pour les couples, c’est que comme le disait un de mes anciens professeurs, l’amour hait le temps mais l’amour est le temps.

L’amour hait le temps, car parfois, les époux aimeraient que tel moment de communion, de complicité, d’harmonie familiale entre eux puisse durer toujours. Hélas, le temps qui passe et la nature humaine obligent à redescendre de ces sommets.

Pourtant l’amour est le temps car une chose le sommet, une autre le chemin parcouru qui vous amène, année après année, à célébrer les anniversaires de mariage avec les enfants qui sont venus, avec les proches et les amis qui étaient présents le jour de l’engagement. Pas d’anniversaire sans un point de départ avec des témoins pour célébrer le parcours.

Amoris laetitia manifeste en plusieurs endroits le fait que la famille se déploie dans le temps et intègre aussi les moments difficiles, la solidarité avec les pauvres, des défis (N° 227), des croix (N° 318), la mort mais elle est aussi, dernier mot de l’exhortation « une Eglise domestique et une cellule vitale pour transformer le monde » (N° 324).

Cette notion d’Eglise domestique nourrie de l’eucharistie est un des fils rouges d’Amoris laetitia. Je ne peux que vous inviter à retrouver ces deux thèmes et méditer comment le Pape François les tissent l’un avec l’autre.

Merci pour le témoignage de vos couples et de votre fidélité à travers le temps.

Et que Dieu vous bénisse tous.

 

+ Bruno Feillet

Evêque de Séez

 

 

John P. Meier, Un certain Juif Jésus, Les données de l’histoire. Tome 1 : les sources, les origines, les dates, coll. Lectio divina, Cerf, Paris, 2004, p. 102.

Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 57 : AAS 74 (1982), p. 150.

N’oublions pas que l’Alliance de Dieu avec son peuple est désignée comme des fiançailles (cf. Ez 16, 8.60 ; Is 62, 5 ; Os 2, 21-22), et la nouvelle Alliance est également présentée comme un mariage (cf. Ap 19, 7 ; 21,2 ; Ep 5, 25).

Conc. Œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, sur l’Église, n. 11.