Comment aider des couples à se marier ?
Cambrai 24/04/02
Introduction
Cette question est apparemment toute simple. Elle semble même appeler des réponses plutôt techniques du genre : quel type d'accueil ? Quel type d'animation ? Comment aider à bâtir une belle liturgie ? …
Or, à vrai dire, si nous nous précipitions dans ce genre de réponse, nous oublierions un peu vite que cette question vient de difficultés très réelles auxquelles sont affrontés les prêtres et les membres des Centres de Préparation au Mariage. Et c'est lorsque ces questions que je vais énumérer dans quelques instants sont, sinon complètement résolues, du moins bien positionnées que les questions techniques trouveront plus facilement leurs réponses.
Plus j'écoute les CPM et les prêtres d'autres diocèses et plus je retrouve les mêmes questions de fond :
Que faire lorsqu'il y a un trop grand décalage entre la demande des " fiancés " et la proposition de foi de l'Église ? Faut-il " brader " les sacrements ou bien faut-il être plus exigeant, quitte à célébrer moins de mariages chrétiens ?
A quoi faut-il être tout spécialement attentif dans une préparation de mariage ? Y a-t-il des repères incontournables ? Des repères tels que si nous ne les entendons pas, nous serions en droit de refuser le mariage à l'Église ?
Quelle est la grâce du mariage ?
L'indissolubilité du mariage est-elle une grâce que se font les époux ou un piège que tend l'Église aux fiancés ?
De plus, préparer au mariage, est-ce témoigner de sa vie de couple ? Jusqu'où ?
Qui peut préparer au mariage chrétien ?
…
Aucune de ces questions n'est une question purement technique. Chacune suppose d'entrer en profondeur dans le mystère du mariage comme dans un grand mystère qui se laisse découvrir en contemplant ce que fit le Christ pour son Église (Ep 5, 31).
Je vous propose donc un exposé en plusieurs parties que j'essayerai d'agrémenter de quelques histoires et de passages bibliques et évangéliques très choisis. Une première partie travaillera la question assez fondamentale du décalage entre la demande d'un côté et la proposition d'un autre. Une seconde tâchera d'aborder les grands repères auxquels il nous faut être attentif. Ce sera la plus longue. Enfin, dans une dernière partie, je tâcherai d'évoquer une question plus difficile qu'il n'y paraît : quel lien y a-t-il entre la vie des animateurs et la préparation au mariage ?
I. Peut-on admettre tout le monde au sacrement du mariage chrétien ?
Cette question surgit de plusieurs prises de conscience qui se font en même temps au moment des préparations au mariage.
Les animateurs qui vivent avec une grande joie et profondeur leur sacrement de mariage trouvent assez souvent en face d'eux des hommes et des femmes de peu de foi même s'ils sont de bonne volonté. Parfois, la demande est extrêmement matérialiste et se concentre sur la célébration. Nous proposons du sens, ils viennent chercher du beau. Ils sont tout à la joie de leur union mais n'ont pas l'air bien conscients de la profondeur de l'engagement qu'ils vont prendre, tant au niveau humain que spirituel. Beaucoup de confrères ou d'équipe CPM se demandent alors s'il ne vaudrait pas mieux leur faire quelque chose de bien sans pour autant que ce soit le sacrement en plénitude. Et lorsque leur foi serait plus mûre, ils pourraient alors demander le sacrement.
Pour traiter cette première partie, je vous proposerai donc un travail sur l'Evangile ; une petite histoire pour nous donner des oreilles ; un peu de théologie fondamentale ; et une remarque sur le sens des relations sexuelles.
A. Lisons l'Evangile
Ces questions que nous nous posons sont des questions éminemment pastorales. Figurez-vous qu'elles n'ont rien d'originale. Déjà dans l'Evangile, Jésus est confronté à cette difficile question du décalage entre ce qu'il propose et ce que ses interlocuteurs lui demandent.
Luc 17, 12-19
12 - A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre et s'arrêtèrent à distance ;
13 - ils élevèrent la voix et dirent : " Jésus, Maître, aie pitié de nous. "
14 - A cette vue, il leur dit : " Allez vous montrer aux prêtres. " Et il advint, comme ils y allaient, qu'ils furent purifiés.
15 - L'un d'entre eux, voyant qu'il avait été purifié, revint sur ses pas en glorifiant Dieu à haute voix
16 - et tomba sur la face aux pieds de Jésus, en le remerciant. Et c'était un Samaritain.
17 - Prenant la parole, Jésus dit : " Est-ce que les dix n'ont pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ?
18 - Il ne s'est trouvé, pour revenir rendre gloire à Dieu, que cet étranger ! "
19 - Et il lui dit : " Relève-toi, va ; ta foi t'a sauvé. "
N'avez-vous pas l'impression que Jésus s'est un peu fait avoir dans cette affaire. D'une certaine manière, on pourrait dire : 10% de succès pastoral. Pour le Fils de l'Homme, cela ne semble très fort.
Il se trouve que Jésus fait la théorie de son travail pastoral et qu'il l'a partagée à ses disciples.
Mt 13, 18-23.
18 - " Écoutez donc, vous, la parabole du semeur.
19 - Quelqu'un entend-il la Parole du Royaume sans la comprendre, arrive le Mauvais qui s'empare de ce qui a été semé dans le cœur de cet homme : tel est celui qui a été semé au bord du chemin.
20 - Celui qui a été semé sur les endroits rocheux, c'est l'homme qui, entendant la Parole, l'accueille aussitôt avec joie ;
21 - mais il n'a pas de racine en lui-même, il est l'homme d'un moment : survienne une tribulation ou une persécution à cause de la Parole, aussitôt il succombe.
22 - Celui qui a été semé dans les épines, c'est celui qui entend la Parole, mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent cette Parole, qui demeure sans fruit.
23 - Et celui qui a été semé dans la bonne terre, c'est celui qui entend la Parole et la comprend : celui-là porte du fruit et produit tantôt cent, tantôt soixante, tantôt trente. "
Jésus commente ici lui-même une de ses paraboles sur le geste semeur et le sort des graines. Il est assez facile de comprendre dans la culture agricole de l'époque que le geste du semeur était imprécis et que le grain pouvait tomber sur des terrains plus ou moins stériles, plus ou moins fertiles. Or, il est beaucoup plus difficile de le comprendre du geste du Fils de l'Homme quant à la Parole de Dieu.
Dieu serait-il imprécis dans la manière de semer ? Sûrement pas. Tout ce qu'il fait, il le fait volontairement. Serait-ce alors pour nous dire combien Dieu est prodigue de sa parole ? Je ne le pense pas non plus car cette remarque ne serait pas de grande utilité pour nous qui savons si peu ou si mal parler du Royaume. En réalité, il faut bien se dire que Jésus fait exprès de semer la Parole jusque sur le chemin ou dans les épines et il sait pertinemment qu'elle ne poussera pas. Pourquoi le fait-il alors ?
Tout simplement pour le motif suivant qui est essentiel : lorsque la Parole arrive sur la partie stérile du cœur de l'homme, même si cette parole est enlevée dans la minute, il reste quelque chose d'absolument essentiel : cette Parole a révélé au cœur de l'homme un terrain que peut-être il ignorait ; que peut-être il ne voulait pas voir. Peu importe. Ce qu'il faut entendre dans cet évangile, c'est que Jésus n'a pas un rapport utilitaire à la pastorale. Il sème, parce que s'il ne le fait pas, les pierres crieront la Bonne Nouvelle à sa place. Après ce travail de révélation, peut-être que cela ne laissera aucune trace, mais ce n'est pas sûr. Qui sait, si plus tard, une autre parole viendra et cette fois-ci, elle sera reconnue et qu'elle sera accueillie un peu plus longtemps.
Mais amis si Dieu espère en l'homme au point de lui envoyer son Fils annoncer sa Parole quitte à en mourir, au nom de quoi, voulez-vous me le dire, au nom de quoi devons-nous faire moins ? Personnellement, je n'ai trouvé aucun argument pour espérer moins que Dieu, pour semer moins que lui. Désormais, j'accueillerai largement ainsi que le Christ le fit pour les lépreux et j'annoncerai largement comme le Christ le fit tout au long de sa vie publique.
Comme vous l'avez remarqué, l'important ne sera pas donc d'accueillir, mais d'annoncer. Jésus n'accueille jamais sans annoncer. Et c'est là que le travail pastoral commence. Que faut-il annoncer, et comment ?
Retenons donc de cette première approche un accueil large pour annoncer largement. Et ce n'est pas grave si nous ne voyons pas la bonne nouvelle du mariage chrétien fleurir en trois mois. Au nom de quoi serions-nous plus pressé que Dieu lui-même ? Mais comment annoncer, comment savoir si la parole de Dieu a pris racine, c'est la question à un million d'€uros. Je vous propose une petite histoire suivie d'un peu de théorie pour approfondir cela.
B. L'histoire de Jacques et Jacqueline : un athée qui veut communier.
C'est une histoire authentique qui va nous permettre de faire un pas de plus. Jacques est ingénieur, il a fait sa première communion mais se dit athée et n'a plus prié depuis une dizaine d'années. Jacqueline est originaire d'une famille de piété italienne, mais elle-même ne se dit pas très croyante. A la troisième rencontre (laquelle suivait un passage au CPM), nous évoquons la liturgie du mariage et en particulier je dis qu'étant donné ce qu'ils sont, leur peu de foi et surtout le fait qu'ils n'ont pas communié depuis des années, il n'y aura pas de communion. C'est alors que Jacques prend la parole et dit " Vous comprenez, Monsieur l'abbé, on vient chez Lui, c'est normal qu'il vienne chez nous ". … J'aurai aimé le dire moi-même. Ils ont communié.
Réfléchissant à cette histoire, je me suis dit : " Mais alors, que disait-il quand il se disait athée ? Ou alors, le travail de préparation a réveillé chez lui quelque chose d'enfoui ? Qui saura jamais ? ".
Théorisons un peu, si vous le voulez bien, cet événement.
Louis-Marie Chauvet, un théologien de la place de Paris, m'a mis la puce à l'oreille dans l'une de ses conférences. Il utilise les travaux de sociologues américains qui repèrent 5 dimensions de la religiosité. Je les énumère brièvement et je vous dit en quoi cela peut nous être précieux :
1. La dimension dogmatique s'intéresse aux vérités qui sont données à croire par les adeptes.
2. La dimension intellectuelle manifeste quelles appropriations personnelles les adeptes de ces religions font des vérités à croire.
3. La dimension affective insiste sur ce que le fait de croire mobilise du point de vue des affects. (Je m'intéresse plus au Jésus prophète qu'au Jésus crucifié, au Jésus ressuscité qu'au Jésus de la passion…).
4. La dimension éthique ou conséquentielle porte son intérêt sur l'impact du système de croyance sur les comportements.
5. La dimension rituelle elle-même.
Ces cinq dimensions de la religiosité peuvent être mobilisées toutes ensembles mais aussi partiellement tant par les fiancés que par nous-mêmes. On pourrait être assez maladroit en pastorale et même entrer dans un dialogue de sourds si une demande rituelle ne rencontrait qu'une oreille dogmatique. Ces critères sociologiques montrent assez bien comment notre insatisfaction de pasteur peut se construire. Les membres des CPM ont cet effort à faire d'unifier, déjà en eux-mêmes, toutes ces dimensions de la religiosité, et cela dans une relation vivante au Christ et dans son Église. Mais ils ont dans le même temps le devoir de savoir entendre à quel niveau se situe la demande. L'effort pastoral est alors celui d'étoffer ou plutôt de déployer ce qui est contenu en germe dans une demande à dominante affective ou rituelle.
C. Peut-on proposer une étape liturgique intermédiaire avant la célébration proprement dite du mariage ?
C'est une question que j'entends plus souvent chez les confrères prêtres que chez les laïcs. Il s'agit au fond d'un raisonnement qui se construit de la façon suivante :
1. N'est-il pas vrai que le mariage entre deux personnes non baptisées est un mariage digne ?
2. Or les baptisés sont parfois très loin de désirer le sacrement du mariage dans sa profondeur.
3. Pourquoi ne pas leur proposer alors de se contenter du mariage à la mairie, quitte à les accompagner d'une prière amicale et fraternelle ? Et le jour où ils seront prêts, ils demanderont le sacrement du mariage avec toute la profondeur souhaitée et en pleine connaissance de cause. Cela éviterait qu'en cas de divorce, ils ne soient affrontés à l'impossibilité de se remarier puisque ils ne seraient pas encore rentrés dans le régime de l'indissolubilité.
Cette remarque, pour rusée qu'elle soit et d'apparence généreuse et prudente, est en réalité complètement oiseuse pour ne pas dire théologiquement très mal élaborée. Voici le chemin de la réponse qui doit non seulement nous conduire à éviter ce genre de raisonnement mais à emprunter les pas courageux du Christ dans l'annonce du mystère de la foi.
En général, cette proposition n'est pas faite par les fiancés eux-mêmes, mais bien par les croyants expérimentés que sont les prêtres et d'autres chrétiens. Comment au nom de notre foi éclairée, peut-on suggérer à des personnes baptisées de se contenter des pratiques païennes dans le domaine du mariage ? Bien au contraire, notre mission n'est-elle pas de nourrir ce baptême qu'ils ont déjà reçu et d'en découvrir toute la beauté et la grandeur ?
Par ailleurs, les problèmes que cette position voudrait résoudre ne le seraient pas plus pour autant. En effet, si l'évolution se passe comme prévu, cela semblerait à courte vue encore acceptable mais en cas d'échec de cette union sacramentelle, on se retrouve quasiment à la case départ. L'échec fait toujours aussi mal ; s'il y a des enfants nés de cette union, c'est encore plus compliqué ; quels sens auraient les relations sexuelles dans une telle approche d'une conjugalité provisoire ? N'ont-elles pas de sens plénier que dans la mesure où elles signifient le don total et intégral que se font les personnes l'une à l'autre d'elle-même ? Nous ne pouvons bénir le provisoire dans la sexualité.
Enfin, ce serait orienter toute la préparation vers un éventuel divorce et non vers la consolidation d'un couple qui à cette étape de sa vie veut et désire que son histoire aille jusqu'au bout. Au nom de notre foi nous ne pouvons vouloir ni même préparer le contraire de ce que la foi veut.
Bref ! Cette position revêt une triple faiblesse : au niveau de la théologie de la vie entre baptisés ; au niveau de l'anthropologie de la sexualité ; au niveau de la réalité et du retentissement de tout échec dans une vie conjugale sincère. Je le dis de manière très ferme, tenir une telle position c'est être " complètement dans l'erreur ".
Ce qui est possible en revanche, c'est cette étape bien connue que sont les fiançailles. Fiançailles qu'il faut bien décrire comme étant un rite béni de Dieu où deux personnes s'engagent à réfléchir ensemble sur la possibilité d'une union conjugale solide ; fiançailles qui posent ce nouveau couple face à la société comme une relation privilégiée que l'on se doit de respecter ; fiançailles qui sont faites pour être dissoutes alors que le mariage est indissoluble. Les fiançailles, en rigueur de termes et en cohérence avec ce que je disais plus haut, ne supposent pas les relations sexuelles.
Rassurez-vous, je n'ignore pas que la très grande majorité des fiancés vivent déjà ensemble ou du moins se sont déjà unis sexuellement avant leur mariage. Mais l'attitude bienveillante de toute pastorale ne doit pas nous empêcher d'avoir des repères clairs pour nous-mêmes.
Pour conclure cette première partie, vous aurez compris que oui, il faut accueillir largement, mais pas accueillir n'importe comment. L'accueil doit se faire accompagner d'une annonce large de la grandeur du mariage chrétien. Oui, il faut annoncer largement. Non il ne faut pas croire que c'est en rabaissant la proposition que nous préparerons mieux au sacrement du mariage. Regardez dans l'Evangile combien Jésus, lui qui connaît mieux qui quiconque les limites et les faiblesses du cœur de l'homme, n'hésite pas à en ajouter sur l'exigence d'une vie à sa suite. Et nous voudrions en son nom faire le contraire, ce n'est pas possible !
La deuxième partie de mon propos a pour objet de montrer ce qu'il nous faut entendre et annoncer dans une préparation au mariage. Vous verrez que l'expérience sexuelle des fiancés est de fort peu d'intérêt et que parfois, elle peut troubler et voiler des questions bien plus fondamentales.
II. La préparation au mariage : une relation de couple à humaniser et à évangéliser.
Deux parties dans ce second chapitre. Vous l'avez compris, l'une portera sur l'attention à la maturité humaine ; l'autre sur la compréhension et l'annonce de la bonne nouvelle du salut pour la sanctification de la vie conjugale.
A. Humaniser la vie conjugale
Quelques repères incontournables pour percevoir la maturité psycho affective du couple.
1. L'aptitude au dialogue, à l'accueil des différences.
2. L'aptitude au pardon.
Des fiancés viennent me voir et me disent d'emblée : " On sait qu'on s'aime, parce qu'on se dispute ". Et ils étaient tout contents de leur découverte. De quoi s'agissait-il ? En fait, ils venaient de découvrir qu'ils pouvaient se dire leur désaccord sur certains points sans pour autant craindre que l'autre ne le quitte. Ils pouvaient enfin être eux-mêmes, différents et pourtant s'aimer. Ce fut extrêmement fondateur pour leur couple. Évidemment, pas de dispute sans pardon pour pouvoir vivre ensemble.
Le pardon n'est pas une petite chose. Dans le Notre Père, c'est la seule réalité où la demande que l'on fait à Dieu doit se réaliser entre nous. Et s'il nous faut imiter le Père, c'est tout spécialement dans le pardon.
Pour le dire brièvement, le pardon n'est ni l'oubli, ni l'excuse. Il est consentement délibéré à renoncer à son droit à la justice pour préférer un avenir commun. Le pardon compris comme oubli juridique d'une dette et mémoire éthique d'une faiblesse nécessite un travail de deuil et de recomposition d'une identité personnelle, conjugale et familiale. Mon couple ne sera pas celui dont j'avais rêvé… l'un de nos enfants s'est drogué… Le pardon est promesse de ne pas évoquer l'histoire douloureuse passée contre l'autre mais éventuellement pour lui.
3. L'aptitude à l'engagement.
Les petits engagements préparent beaucoup mieux qu'une cohabitation sexuelle au grand engagement qu'est le mariage. Mon futur conjoint sait-il tenir la parole qu'il a donnée dans une association, pour un service promis ?
L'engagement qui libère. " Depuis qu'on a décidé de se marier, on s'aime plus ". L'engagement libère la parole, les fécondités, des énergies affectives que l'on tenait en réserve tant que l'autre n'avait pas dit oui. Ou le contraire : n'ayant plus à " conquérir " sa femme puisqu'elle s'est engagée à dire oui, ce mari de trois mois quitte le domicile conjugal.
4. Trois engagements fondamentaux :
Le refus spécifique d'un des trois engagements ou l'absence réelle de liberté (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de déterminismes ou de " sac à dos ") conduit à la nullité juridique, l'absence de réalité du mariage.
a) Les enfants
Lorsque l'on se marie, il faut savoir que c'est autant pour le bien des époux que pour la procréation. Aujourd'hui, si on met le bien des époux en tête (Can. 1055), ce n'est pas pour autant que l'ouverture à la vie est facultative. La participation au grand mystère de la vie est une des missions du couple. Et nous ne confondrons pas la stérilité (le fait de ne pas pouvoir avoir d'enfants) avec le fait de ne pas en vouloir (qui est lié à une forme d'égoïsme).
Ainsi ce pharmacien militaire qui était prêt à donner sa vie pour la nation mais pas la vie…
On notera tout de même que le bien des époux et la procréation des enfants sont dans une étroite relation. La venue au monde des enfants fait du bien aux époux et manifeste la surabondance de leur amour qui ne peut rester clôturé sur lui-même. Par ailleurs, il est aussi clair que les enfants seront d'autant plus heureux que les époux seront " bien ". Je veux dire par là que le premier cadeau que les parents peuvent faire à leurs enfants, c'est eux-mêmes dans leur unité et leur fidélité.
b) La fidélité
Elle est inconditionnelle. Il s'agit de l'engagement de chacun envers l'autre, de manière radicale et exclusive. Cet engagement n'a pas d'autre condition que la mutualité même cet engagement. Il se peut que nous entendions une forme de condition chez certains couples comme " si tu me trompes, je te quitte ". Ce genre de remarque qui dit certainement l'exigence qui est liée à l'alliance conjugale, est pourtant une condition suffisante pour invalider l'engagement.
Je ne veux pas atténuer ici la douleur du conjoint qui découvre ou apprend qu'il ou elle est trompée. Mais l'Église, a toujours eu la conviction qu'un amour authentique peut affronter dans le pardon ce genre de difficile épreuve. Des chrétiens le vivent et en témoignent parfois.
c) L'indissolubilité
C'est là sans doute que nous percevons une des spécificités les plus grandes du mariage chrétien. Encore que déjà dans la vie commune, la réalité conjugale est marquée à bien des égards du sceau de l'indissolubilité.
Ainsi, on ne peut effacer l'histoire commune. Ce qui a eu lieu, a eu lieu. Les traces affectives et psychologiques sont pour la vie.
Un couple marié civilement ne peut divorcer de lui-même. Son mariage est indissoluble tant qu'un tiers, en l'occurrence un juge, n'a pas dissout ce mariage.
Si ce couple a des enfants, la législation a renforcé les liens de parentés et obligent les parents à travailler ensemble à l'éducation de leur progéniture jusqu'à leur indépendance.
Enfin, de manière plus poétique, il n'existe pas de couple sincère dans leur amour qui n'ait voulu le faire rimer avec toujours. C'est le vœu même de l'amour que d'être pour la vie. C'est cette promesse qui qualifie la profondeur de l'engagement. C'est le plus beau cadeau que peuvent se faire les époux l'un à l'autre. " Je te promets de t'être fidèle même si tu es malade, si tu perds ton emploi, si nous n'arrivons pas à avoir d'enfant, rien ne pourra nous séparer, … ". Chacun recevant la promesse de l'autre comme un trésor d'autant plus précieux qu'il ou elle sait bien qu'il n'est pas parfait et que déjà dans leur histoire il existe des pardons signes de leurs limites mais aussi du choix volontaire d'aimer l'autre tel qu'il est, tant que faire se peut.
Du point de vue chrétien, l'indissolubilité est souvent perçue comme un piège lorsque des époux, ayant rompu leur mariage, désirent se remarier avec une autre personne à l'Église. Car nous le savons, il n'y a qu'un sacrement et donc qu'une célébration. C'est en fait prendre le problème à l'envers.
A l'origine, il n'en est pas ainsi, pour reprendre l'expression du Christ. A l'origine, les époux accueillent l'indissolubilité comme une grâce que le Christ consolide de sa bénédiction. Et il n'est pas imaginable qu'une grâce devienne un piège. C'est justement ce que se disent les fiancés : " Rien ne pourra nous séparer ". " Notre amour est fort comme la mort ". " Notre amour nous rendra solides dans les épreuves, nous nous soutiendrons l'un l'autre… ", " Avec lui, je n'ai plus peur "... C'est justement cette indissolubilité comprise comme une solidité particulière que les époux recherchent. Loin d'être un piège, c'est vraiment la grâce, le cadeau le plus précieux qu'ils recherchent pour leur couple.
C'est bien pourquoi, lorsqu'il y a échec, la blessure est si vive. Parfois un peu trop rapidement alors, on tourne son ressentiment contre l'Église, on oublie ce que l'on voulait au plus profond de son amour originaire et on l'accuse de les enfermer dans une histoire qui a mal tourné. Nous ne travaillerons pas dans le débat cette question de la souffrance des personnes divorcées remariées, ce n'est pas le sujet de ce jour. Mais je ne pouvais passer sous silence cette difficulté.
d) Engagements librement choisis
Ces trois engagements doivent se prendre dans un contexte de liberté, c'est-à-dire sans pression de la part de la société ou des parents ou encore de l'Église.
5. Que la décision du mariage soit une vraie décision
L'histoire de Robert et Rosalie. Après trois ans de cohabitation, ils demandent à se marier. Date prise pour la célébration du mariage, Robert part au service national. Premier éloignement l'un de l'autre depuis 3 ans. Robert revient au bout de trois mois complètement perdu. Il ne sait plus ce qu'il veut. Pour la première fois il vient de prendre du recul. En fait, ils n'avaient pas vraiment décidé de se marier, ils étaient dans la logique d'une cohabitation. Ce n'est pas suffisant pour se marier.
La qualité de la décision d'aujourd'hui, c'est un investissement pour traverser les tempêtes de demain. Car lorsque l'on est dans le brouillard de la vie quotidienne (ce qui arrive toujours à un moment ou à un autre dans la vie conjugale), il importe d'avoir une mémoire claire et écrite si possible, du moment où l'est s'est décidé à épouser l'autre et pourquoi. Si ce moment est dans le brouillard, la poursuite de la vie quotidienne est plus dure.
B. Sanctifier la vie conjugale
1. Dans l'Ancien Testament.
Dans la bible, on passe de la sacralisation de la sexualité (prostituées sacrées, rites de fécondité) à la sanctification de la sexualité. L'exercice de la sexualité est réservée au domaine du mariage. Le mariage est le lieu où s'éprouve un sentiment d'amour si fort qu'il peut servir de tremplin, d'image fondatrice pour parler de l'amour de Dieu pour son Peuple. C'est le travail de l'Ancien Testament que de témoigner de cette foi déjà formidable.
2. Dans le Nouveau Testament
Dans le Nouveau Testament le Christ va faire faire plusieurs sauts qualitatifs aux croyants pour la compréhension du mystère du mariage.
a) Le renversement complet de l'approche.
Cette fois-ci, c'est la contemplation du mystère de la foi, de ce que fit le Christ pour son Église qui rejaillit sur la façon dont les croyants vont comprendre et recevoir le mystère de l'alliance conjugale. Ce mystère est grand, je le dis en contemplant ce que fit le Christ pour son Église. Cf. Ep 5, 32.
b) Vouloir l'autre plus grand.
Les chrétiens, par humilité, nous dit Paul, sont invités à considérer l'autre comme supérieur à eux-mêmes. Il en est de même dans la vie conjugale. Dans cette inégalité réciproque, il ne s'agit pas d'être plus grand, de soumettre l'autre mais tout le contraire. Parce que l'on se soumet au Christ qui a offert sa vie pour chacun de nous, les baptisés mariés, sont appelés à offrir leur vie pour leur conjoint, à " se soumettre les uns aux autres dans le Christ " Ep 5, 21.
c) L'indissolubilité redécouverte.
Bien souvent, on accuse l'Église d'être dure alors que le Christ serait toute miséricorde. Mais c'est bien le Christ qui a replacé le sens de l'alliance conjugale dans le projet initial de Dieu. L'Église ne fait que servir l'espérance du Christ sur les couples. "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas" Mt 19, 6.
d) La fidélité
Là aussi, le Christ en rajoute sur l'exigence de fidélité. Un simple regard déplacé et accompagné du seul désir d'infidélité, et nous voilà adultère.
e) Le pardon sommet de l'éthique humaine et conjugale
Si vous voulez être parfaits, faites comme votre Père et parfait.
La pécheresse pardonnée. Jn 8.
Un pardon qui met en route, comme on peut. " Pierre m'aimes-tu ? " Jn 21.
Se souvenir que nous sommes des êtres en croissance, des couples en croissance. C'est lorsque la tempête est passée, que l'on est content de ne pas l'avoir fuie. Faisons du temps notre allié.
3. Une théologie du mariage comme une théologie de l'alliance eucharistique
a) Liens Eucharistie mariage
Voici un tableau rapide qui manifeste quelques liens fondamentaux qui existent entre l'eucharistie et le mariage.
L'eucharistie Le mariage
Versé pour la nouvelle Alliance Alliance conjugale
Ceci est mon corps livré. C'est-à-dire tout son être. Je me donne à toi et je t'accueille. De même, "Glorifiez donc Dieu par votre corps" nous dit Paul.
Pour la rémission des péchés Le pardon comme sommet de l'amour conjugal
Un sacrement pour la route Un sacrement pour la route ensemble
Communier pour devenir corps du Christ, il s'y vit une transformation de soi. Une union qui signifie l'alliance du Christ pour son Église. C'et le couple qui prend une dimension toute nouvelle.
b) Les grâces du mariage
Grâce sanctifiante qui fait du mariage un chemin de sainteté vers le Royaume de Dieu.
Grâce efficace qui aide les couples à lutter contre l'endurcissement du cœur.
Grâce de devenir signe et témoin de l'amour du Christ pour son Église. Si Lui l'a fait pour nous tous alors que nous ne le méritions pas, pourquoi les époux ne pourraient-ils pas le faire l'un pour l'autre alors qu'ils se sont choisis ?
III. A l'adresse des couples qui aident à se préparer au mariage.
A. Sommes-nous dignes ?
Bertrand et Brigitte qui se disputent pour un seau mal placé juste avant de partir au CPM. Et les voilà tout bouleversés de devoir parler d'unité conjugale alors qu'ils viennent de vivre un temps de désaccord.
Préparer au mariage, ce n'est pas d'abord s'annoncer soi-même, ni témoigner de sa propre vie. Il s'agit de permettre fondamentalement à des fiancés d'approfondir l'engagement qu'ils vont prendre en leur donnant de relire leur histoire dans le cadre de l'Église.
Que de la joie de votre vie conjugale et familiale transparaisse dans ce que vous dites, formidable. Et le travail sera d'autant plus fructueux. Mais ce n'est pas parce que vous n'êtes pas à la hauteur de tout ce que demande l'Église (absence d'unité profonde sur le moment, pratique d'une régulation des naissances par méthode contraceptive, …) que vous êtes disqualifiés pour autant.
A vrai dire, comme les prêtres qui prêchent tous les dimanches, vous êtes les premiers destinataires de toutes ces paroles que vous direz aux fiancés. Et c'est ainsi qu'en permettant aux fiancés de préparer leur mariage, les membres du CPM en retirent pour eux-mêmes et par delà le service parfois exigeant, un grand profit. Vous serez les premiers bénéficiaires de votre CPM.
B. Qui appeler ?
Il faut appeler des personnes prêtes à se former. La générosité ne peut pas tout. On n'est pas obligé de tout savoir dès le début. L'expérience vous aidera à poser les bonnes questions, et à voir où creuser.
En matière de formation au mariage chrétien, de manière un peu provocatrice, ce n'est pas le fait d'être mariés qui vous rend fondamentalement compétents. C'est d'abord le fait d'avoir pris du recul et réfléchi sur les multiples enjeux de la vie conjugale qui compte. Cela vous permet entre autres choses de ne pas mélanger vos propres soucis conjugaux avec ceux des fiancés. Si en plus vous vivez votre mariage avec une grande profondeur, alors cela touchera au sublime. Comme en toute chose, la générosité, cela s'éduque. Et c'est bien ce que nous faisons ici, ce soir.
On me pose parfois la question très délicate sur la possibilité qu'auraient des couples divorcés remariés de participer au CPM. Soit parce que le secteur n'a pas trouvé d'autres couples volontaires, soit parce que ces couples le demandent eux-mêmes. Et cette question est d'autant plus cruciale que parmi les couples qui vivent une deuxième union après un premier échec, on en trouve de formidables, très croyants et dont la vie conjugale en édifie plus d'un.
Personnellement, je serai très réservé. Plusieurs motifs à cela.
D'une part, à titre d'argument général, dans l'Église comme dans la société, aucune charge n'est un droit, personne n'est a priori compétent sur tout. Ainsi le prêtre que je suis ne pourra jamais par sa propre vie témoigner de l'Alliance du Christ pour son Église. Ce n'est pas mon ministère. L'Église est un peuple où il y a des ministères divers et c'est heureux.
D'autre part, il me semble que ce serait mettre en porte à faux, ces personnes par rapport à la tâche même du CPM. Par respect pour ces personnes et pour les fiancés, il me semble que c'est prudence et sagesse. De même qu'on ne demande pas à un prêtre qui a quitté le ministère de venir dire au séminariste comment vivre le ministère presbytéral, de même qu'on ne demande pas à une personne non baptisée de préparer au baptême, de même qu'une personne qui ne peut pas encore ou ne peut plus communier, on ne lui demande pas de donner la communion, de même, il est prudent et sage de ne pas demander de ne pas demander aux personnes divorcées remariées de participer au CPM. Ce serait mettre l'ensemble des personnes impliquées dans une position psychologique et spirituelle difficile.
Est-ce à dire que leur expérience et leur bonne volonté ne peuvent être accueillies et sollcitées ? Sûrement pas. Baptisés, ils font partie plus que jamais de l'Église. Mais d'autres services tout aussi utiles précieux et indispensables à la vie de l'Église peuvent leur être proposés : Ainsi le conseil conjugal, le travail dans les équipes du CLER. Et dans ces services, on manque aussi cruellement d'animateurs.
Conclusion
C'est un sujet immense que celui de ce soir.
Je n'ai rien évoqué du point de vue des moyens pédagogiques. C'est volontaire. On ne peut les bâtir qu'à partir du moment où l'on sait ce que l'on veut vivre avec les fiancés. C'est le travail qui vous revient. Ceci dit, vous ne partez pas de rien. Les CPM commencent à avoir une longue tradition et il commence à exister une véritable mine de moyens pédagogiques, il n'y a qu'à puiser chez les uns et les autres.
©Bruno Feillet