Formation à la maturité humaine et affective
Éléments d'une intervention faite au Séminaire Jean XIII de Kinshasa le 2 octobre 22013 à destination des supérieurs et professeurs des séminaires.
Formation à la maturité humaine et affective
Le vieillard se chauffe avec le bois qu’il a ramassé dans sa jeunesse
I. Préambule
Il y a quasiment un an que le Père Maurice Pivot m’a sollicité pour participer à cette session des équipes de grand séminaire de la région de Kinshasa et de Brazzaville.
Et je remercie très chaleureusement Mgr Timothée Bodika de sa confiance et de son accueil. Lorsque j’ai accepté ce service, j’enseignais encore la théologie morale au grand séminaire de Lille et j’étais Curé-Doyen de Valenciennes, une petite ville au nord de la France près de la Belgique. Pendant 8 ans, j’ai aussi enseigné la morale familiale et sexuelle au séminaire de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux.
Depuis, vous le savez, j’ai accepté la mission que le Pape François m’a confiée comme évêque auxiliaire de Reims. L’ordination a été célébrée la semaine dernière. Mais avec l’autorisation de mon nouvel archevêque, je n’ai pas voulu renoncer à ma parole et me voici.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne suis pas familier de la culture de l’Afrique équatoriale, ou devrais-je dire des cultures de l’Afrique équatoriale. C’est la première fois que j’y viens. En revanche, depuis 8 ans, je participe chaque année à l’université d’été organisée au Maroc par le diocèse de Rabat où je rencontre à chaque fois plus de 70 étudiants subsahariens. J’espère que cette modeste expérience, ainsi que les discussions avec des confrères subsahariens et des lectures diverses me permettront d’apporter quelques éclairages sur les enjeux d’une formation à la vie affective pour les séminaristes de votre région. Je vous fais confiance pour corriger mon ignorance et adapter ce qui aura besoin de l’être.
Sans tomber dans les excès de la théorie du genre qui voudrait soumettre la sexualité au bon vouloir du sujet et de sa culture tout en ignorant le donné primordial du corps, on ne peut cependant nier qu’il y a un rapport étroit entre la façon dont l’être humain se découvre comme être sexué, c’est-à-dire soit homme soit femme, et les représentions et les lois qu’il s’est donné pour intégrer cette « découverte » dans une vie sociale au service de la vie du groupe et de la vie de la personne elle-même.
Et ni vous ni moi ne pouvons nous abstraire de notre culture et de notre sexe pour rejoindre l’homme ou la femme « chimiquement » purs de tout l’environnement culturel dans lequel il est inséré. C’est donc bien comme un homme d’abord, occidental de surcroît, mais aussi chrétien et évêque que je prends la parole devant vous. Et il est impossible qu’il en soit autrement.
Le travail que nous menons lorsque nous réfléchissons nos pratiques éducatives suppose que nous prenions du recul par rapport à nos évidences pour éventuellement mieux nous les réapproprier[1]. Le décalage entre nos deux cultures participe de cette mise à distance. C’est pourquoi, je ne crains pas trop d’exposer mon point de vue que j’espère être aussi en communion avec celui de toute l’Eglise, notre Eglise.
Le Pape François au JMJ à Rio, lorsqu’il rencontrait les évêques n’a pas craint de leur dire : « qu’il est important de promouvoir et de soigner une formation qualifiée qui fasse des personnes capables de descendre dans la nuit sans être envahies par l’obscurité ni se perdre ; d’écouter les illusions d’un grand nombre, sans se laisser séduire ; d’accueillir les désillusions, sans se désespérer ni tomber dans l’amertume ; de toucher ce qui a été détruit chez les autres, sans se laisser dissoudre ni décomposer dans sa propre identité. »[2] Si la matière des illusions et des blessures peut être diverse, il est clair que le travail de formation des futurs prêtres suppose de la part des accompagnateurs un attachement très solide au Christ de telle sorte que sa lumière en nous nous évite de tomber dans les pièges des jeunes parfois très idéalisés ou de tomber dans leur désespérance lorsqu’ils ne se voient pas progresser aussi vite qu’ils le voudraient. Il faut sans doute avoir éprouvé pour soi-même l’infinie patience de Dieu sur nos chemins personnels de conversion pour permettre à d’autres d’y mettre leurs pas avec courage et persévérance, avec une espérance qui leur ouvre l’avenir. Ici, si la science peut être utile, l’expérience de la miséricorde de Dieu l’est tout autant.
A vrai dire, ce que je vous dis là vaut aussi pour la formation des prêtres en occident et en France en particulier. Pour tout vous dire, chaque année, des jeunes prêtres français quittent le ministère quelques années (moins de 10 ans) après l’ordination pour se marier ou parce qu’ils attendent un enfant. Leur nombre n’est vraiment pas négligeable. De ce point de vue, je n’ai aucune leçon à donner qui viendrait d’un supposé savoir-faire dont on aura vite fait le tour des limites.
De plus, on sait que probablement en raison de la modernité de notre vie actuelle les jeunes séminaristes et les jeunes novices, garçons et filles, ont parfois eu « une vie » avant de se convertir. Saint Augustin et le Bienheureux Charles de Foucauld l’ont fait avant eux.
Enfin, pour mémoire, la Ratio Institutionnis de 1998, sur la formation des futurs prêtres convoque les équipes des séminaires à se saisir explicitement du sujet (cf. p. 30-32). Pour que ces hommes aient des qualités humaines vérifiées, il est nécessaire qu’ils travaillent leur rapport à leur affectivité et à leur sexualité. On notera en particulier l’aide que l’équipe du séminaire leur doit pour qu’ils puissent « progresser dans la chasteté ». « On veillera à ce qu’ils acquièrent une bonne compréhension de cette vertu chrétienne qui signifie par-là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. Elle assure la maîtrise de soi vécue tant par le cœur que par le corps selon les différents états de vie, mariage ou célibat ». Plus loin les auteurs ajoutent « qu’il s’agit spécialement pour eux d’évaluer leur capacité à effectuer ce choix et à le vivre dans la durée de manière heureuse. » Tout ceci a pour objectif qu’ils puissent vivre leur célibat dans un « amour totalement livré ». Bien d’autres choses mériteraient d’être travaillées dans ce texte. Mais retenons que les séminaristes sont les acteurs de leur propre discernement et qu’il importe qu’ils perçoivent cela comme une nécessité qui conditionne leur manière de vivre le célibat aujourd’hui et demain plus encore. Comme le dit un proverbe d’Afrique : « le vieillard se chauffe avec le bois qu’il a ramassé dans sa jeunesse ». Plus la décision du célibat chaste est prise pour de bonnes raisons et dans la clarté de ses faiblesses et plus il sera vécu de manière heureuse.
A ceci, nous pourrions ajouter une adresse aux supérieurs de séminaire du préfet de la Congrégation pour le clergé : « Que les supérieurs de séminaire soient des personnes suffisamment matures, réconciliées avec eux-mêmes et leur propre dimension psychoaffective, non frustrées, et, de ce fait, non enclins à projeter sur les autres leurs propres nœuds non résolus »[3].
Enfin, le travail que nous présentons suppose comme acquis la compréhension positive du célibat pour le Royaume de Dieu, car pour le prêtre, il est heureux de conformer sa vie à celle du « bon maître », de le suivre et de l’imiter jusque dans son mode de vie.
II. Introduction
La formation à la maturité affective des futurs prêtres de la région du Congo est un sujet évidemment difficile. Il n’est pas simple en France et dans le monde de culture occidentale. Ça ne l’est sans doute pas plus dans l’univers du Congo même si des difficultés nous sont communes. Lesquelles sont liées à la « nature humaine » ou encore à l’envahissement des comportements de ma culture via les médias modernes.
En réalité, toute formation à une conduite humaine se doit de prendre en compte que le sujet est affronté à divers déterminismes au sein desquels il doit apprendre à devenir libre.
Le schéma sur la boucle des conditionnements éthiques peut nous aider à comprendre :
Bien que nos vies sont marquées par des déterminismes de plus en plus forts tels que notre corps, notre éducation et la société, il reste que nous avons une part de liberté qu’il faut parfois préserver, augmenter, voire créer pour que nous puissions nous attribuer à nous-mêmes non seulement les actes que nous posons (sinon, sans liberté, il ne peut y avoir de responsabilité morale) mais aussi leurs conséquences.
Dans le cas particulier qui nous occupe, former des jeunes et en particulier des séminaristes à la maturité affective et sexuelle suppose de prendre en compte tous les facteurs évoqués. Croire que l’on peut se contenter d’un seul serait une illusion.
En même temps, se poser la question de la formation suppose que l’on croit que l’on peut être formé et que les « déterminismes » - que l’on subit et qu’il ne faut surtout pas ignorer - peuvent être relativisés, déplacés, convertis. Ou encore que l’on peut trouver un espace de liberté là où l’on ne voit que chemins obligatoires. Si nous ne sommes pas convaincus de cela, la session peut s’arrêter tout de suite.
Les études sont nombreuses mais peut-être celle qui est la plus connue dans le monde occidental est celle du Cardinal Malula[4]. C’est en juin 1987 que votre ancien cardinal rédige un « Essai de profil des prêtres de l’an 2000 au Zaïre ». Il pointe les qualités qu’il pressent dans le jeune clergé :
· Des prêtres plus sensibles à l’idée de fraternité
· Une compréhension de l’Eglise plus présente au monde
· Une Eglise tout entière missionnaire
· Un vrai sens de la coresponsabilité, en particulier avec les laïcs
· Des prêtres rassembleurs au service de l’Eglise locale.
Mais il note aussi ce qu’il qualifie d’idolâtrie (un fort penchant mauvais, une recherche et une préoccupation exagérée, un attachement désordonné, une passion pour…) :
· La recherche exagérée de l’argent, des aises, et de la vie facile.
· La soif du pouvoir.
· La recherche exagérée de la compagnie des femmes, des filles, des religieuses.
Ce qui nous intéresse, ici, c’est la 3° difficulté. Il y a 26 ans que le Cardinal Malula pubiait cette réflexion. Elle est toujours d’actualité et elle le sera toujours. Ce qui change, c’est la connaissance, les moyens techniques au service de la connaissance… Mais jusqu’à la fin des temps nous aurons, tous et chacun, tant que nous serons des hommes ou des femmes, à « apprendre à habiter chez soi pour parvenir à se respecter et s’estimer. Cela demande un gros travail : celui de l’accès à la maturité qui reste toujours un labeur. »[5] Le Catéchisme de l’Eglise Catholique n’hésite pas non plus à dire lui-même, sans naïveté, que la chasteté est une tâche quotidienne : « La chasteté comporte un apprentissage de la maîtrise de soi, qui est une pédagogie de la liberté humaine. »N° 2339 ; « La maîtrise de soi est une œuvre de longue haleine. Jamais on ne la considèrera comme acquise une fois pour toutes. Elle suppose un effort repris à tous les âges de la vie (cf. Tt 2, 1-6). L’effort requis peut être plus intense à certaines époques, ainsi lorsque se forme la personnalité, pendant l’enfance et l’adolescence. » N° 2342. Et le dernier numéro sur le sujet affirme : « La chasteté est une vertu morale. Elle est aussi un don de Dieu, une grâce, un fruit de l’œuvre spirituelle (cf. Ga 5, 22). Le Saint-Esprit donne d’imiter la pureté du Christ (cf. 1 Jn 3, 3) à celui qu’a régénéré l’eau du Baptême. » N° 2345.
Ce que je me propose de faire, c’est de vous partager dans un premier temps quelques approches sur la chasteté. Ensuite nous regarderons les différents acteurs qui participent à la formation à la vertu de chasteté. Enfin, je proposerai quelques repères et éventuellement des pratiques pédagogiques pour former, mieux former nos jeunes à cette vertu, qui, en définitive, est une vertu pour tous, une vertu pour les hommes et les femmes, que l’on soit célibataire ou marié.
III. La Vertu de chasteté
St Thomas d’Aquin voyait la chasteté comme une vertu qui « contient » les pulsions.
Beaucoup plus près de nous, le P. Xavier Thévenot considérait cette vertu comme le contraire de ce qui est incestueux. Serait chaste toute personne qui ne serait pas « in-castus ».
Il faut bien le reconnaître, la chasteté est une vertu complexe et il n’est pas aisé d’en donner une définition courte. J’en ai à votre disposition bien sûr et je vous les donnerai mais si vous le voulez bien, nous allons essayer de « construire » cette vertu ensemble.
Il va de soi que la chasteté pour les personnes qui ont fait le libre choix du célibat suppose la continence, c’est-à-dire l’abstinence de tout plaisir sexuel volontairement provoqué.
Pour les célibataires le schéma se modifie donc de la façon suivante :
Mon hypothèse de travail est qu’avec la boucle des conditionnements éthiques et le schéma sur la vertu, nous disposons de deux grilles de travail qu’il faut mettre en œuvre simultanément. Notre capacité à mettre en œuvre un « programme éducatif » au service de la maturation affective et sexuelle des séminaristes sera le fruit de la mise en œuvre courageuse et prudente de tous ces critères :
Participent à la maturation affective du jeune : lui-même, la communauté éducative et la société (au moins l’Eglise dans laquelle il vit). Cette dernière doit prendre en compte les trois composantes de la chasteté : le rapport au plaisir, la maîtrise de soi et le rapport à autrui.
Si nous voulons que les jeunes séminaristes rentrent de manière positive dans un célibat chaste pour le Royaume de Dieu, il faut que tous les acteurs tirent dans la même direction en agissant sur tous les leviers. Il sera évidemment plus difficile pour un jeune prêtre de persévérer dans la chasteté et la continence s’il ne trouve pas autour de lui une communauté chrétienne qui perçoit dans son célibat chaste un trésor pour sa propre vie de communauté.
A. Quelques définitions de la chasteté.
On verra que le regard est toujours impliqué.
« Jésus n’a pas choisi d’être chaste par principe, au nom d’un idéal ou comme le moyen de réaliser quelque chose : il a simplement choisi d’être lui-même. » Jacques Guillet
« "Chaste" sera le regard accessible à cette beauté. Loin d'être asexué (eros intervient toujours dans l'appréhension de la beauté), le regard chaste supporte la distance et respecte l'altérité (qui ne se réduit pas à la différence). Il perçoit le corps comme personnel et expressif avant de le percevoir comme objet de désir. Chaste est le regard qui perçoit le corps à partir de son visage. La chasteté est liberté ou, plus précisément, liberté vis‑à‑vis du désir. La difficulté que nous avons à poser un regard innocent sur un corps dévêtu est signe certes de l'accès à la pudeur, c'est‑à‑dire au sens de l'intimité, mais aussi des limites de l'unification en nous du désir et de la liberté. La notion de pureté du regard serait à redécouvrir, en lien avec celle de pureté du cœur. » Xavier Lacroix
« La maîtrise de soi dont nous avons besoin dans le célibat pour écarter les tentations et résister au mal naît de notre accueil de l’Amour indéfectible du Père. S’il nous faut combattre des tentations charnelles par exemple, ou maîtriser des pulsions sexuelles plus ou moins perverses, c’est sans doute moins en fustigeant notre corps ou en évitant toutes les rencontres dangereuses dans ce monde où la mixité est de règle partout, qu’en nous tenant sous le regard du Père. Notre Père ne veut pas que nous succombions dans les épreuves, les tentations ou les souffrances qui nous sont infligées. Notre regard vers le Père restaure notre lucidité et nous remet debout lorsque nous faiblissons. Car son Amour est empreint d’espérance sur nous et nous remplit de la force de l’Esprit. » A. Barral-Baron
La chasteté est avant tout une vertu du cœur. « Bienheureux les cœurs purs… » Le prêtre (et déjà le séminariste) doit apprendre à regarder les femmes comme Jésus les regardait, non seulement avec un regard pur mais avec un regard purificateur. (…) Un regard de convoitise (souvent partagé) tue la chasteté et la liberté intérieure. Cardinal Malula
« Est chaste une personne qui, sous l’action reconnue de l’Esprit Saint, tente de vivre sa sexualité de façon à construire sa relation aux choses et aux êtres dans la reconnaissance des différences qui la structurent. »
Xavier Thévenot
IV. Pour progresser dans la chasteté
Si nous prenons la grille de la chasteté qui présente les harmoniques de cette vertu autour de la maîtrise de soi, du rapport au plaisir et du rapport aux personnes, il faut pouvoir progresser autant que faire se peut sur les trois domaines.
La réalité montre que l’on ne progresse pas simultanément et uniformément dans ces trois composantes, mais que progresser dans l’une permet sans doute de progresser aussi dans les autres. C’est pourquoi il est important de considérer que l’éducation à une vie chaste et continente ne se contente pas de regarder la dimension sexuelle de la personne mais s’intéresse à la totalité de son comportement qui est symptomatique de l’intégration de la chasteté dans sa vie.
A. La maîtrise de soi
Comme on l’a déjà dit, il est important de faire comprendre au jeune séminariste que la chasteté concerne toutes les dimensions de la vie (relations, pouvoir, savoir, …) et que progresser sur tel ou tel point de sa vie l’aidera aussi à progresser sur le plan de sa vie affective et sexuelle.
C’est pourquoi, on peut proposer ou rappeler les lieux traditionnels de l’apprentissage à la maîtrise de soi :
1. Le jeûne, qui fait découvrir que nous ne sommes pas seulement un corps.
2. S’attendre à table ; attendre que tout le monde soit servi pour commencer à manger.
3. Toujours dans le domaine de l’oralité, aider à la beauté du langage et apprendre à renoncer « aux gros mots ». C’est ce que l’on apprend aux enfants, mais comme cela leur sera utile plus tard.
4. Le cardinal Malula dans l’article cité plus haut rappelait l’importance de l’éducation de la volonté qui passe aussi par le respect de la ponctualité aux offices et dans la gestion des entrées – sorties du séminaire.
5. Différer un achat qui ne serait pas absolument nécessaire.
6. Nous pourrions ajouter aujourd’hui la gestion des téléphones portables. Pourquoi faut-il absolument répondre immédiatement, en réunion, dans un cours, lors d’un accompagnement spirituel, voire pendant l’office. Laisser le répondeur prendre le message et s’y intéresser dans un moment plus pertinent est tout aussi éducatif pour l’apprentissage de la gestion des pulsions sexuelles.
La liste n’est évidemment pas close.
B. Le rapport aux plaisirs
Chacun notera le pluriel du titre.
Il est important qu’il y ait du plaisir dans nos vies. Or ils sont de natures bien différentes. Savons-nous qu’ils peuvent être corporels (sport, nourriture, sexualité, …) mais aussi intellectuels (comprendre une problématique théologique, résoudre un problème technique ou relationnel, …) ou encore spirituels (on connaît l’expérience de Ste Thérèse d’Avila avec l’ange qui lui lance une flèche d’or). A vrai dire, les trois dimensions peuvent être associées au cours d’un même événement comme celui d’un bon repas qui fait l’unité du groupe (cf. le film : le festin de Babette) ou encore un temps liturgique musical si magnifique qu’il s’éprouve par tous les participants comme un « moment esthétique » qui touche au sublime et élèvent les participants à la louange de Dieu.
Bref ! En éduquant aux différents plaisirs on peut accéder à un certain nombre d’entre eux sans pour autant accéder à toute la palette des expériences possibles.
Dans ce registre, il conviendrait d’analyser aussi son rapport aux déplaisirs et les réactions que chacun éprouvent à ce moment-là. Car nous en avons tous dans nos vies : échec pastoral ; injustice vécue dans l’Eglise ; contraste de la solitude après la foule du dimanche matin ; … Comment gérons-nous ces déplaisirs ? Il y a là beaucoup à apprendre dans les relectures et pour ensuite adapter ses comportements.
C. Trouver la juste distance
C’est le propre de la chasteté de trouver la juste distance aux personnes en fonction des différences qui les structurent et des engagements que le candidat s’apprête à prendre.
Ici, l’attitude de l’accompagnateur et de l’équipe d’animation est déterminante.
Est-ce qu’elle fait confiance au séminariste. Tout en vérifiant de temps à autre si la parole donnée a bien été mise en œuvre. Comme on dit en France, il s’agit de « savoir fermer les yeux tout en gardant un œil ouvert ».
Est-ce que l’accompagnateur accepte de ne pas tout savoir de la vie du jeune ? La chasteté se joue aussi sur une certaine discrétion à l’égard du savoir sur l’autre.
Est-ce que l’on accepte de ne pas avoir totalement prise sur les choix du jeune (pouvoir) par exemple dans le choix de certains sujets d’examen ou de service à rendre dans la communauté, … L’institution a-t-elle en son sein des lieux de liberté ou d’initiatives remis entre les mains des séminaristes ?
Tous ces critères sont justement intéressants parce qu’ils peuvent aussi être mis en place par le jeune lui-même pour évaluer son propre comportement à l’égard de ses propres responsabilités.
Ainsi, si l’accompagnateur ne peut et ne doit exercer des pressions « pour savoir » ou pour « faire dire » ce qu’il sait parfois par d’autres sources, le séminaristes doit pouvoir s’ouvrir de lui-même à son accompagnateur de tout ce qui l’anime pour être connu de ce dernier et lui permettre alors de l’aider à progresser. Cette ouverture du cœur, cette transparence, est absolument nécessaire pour progresser. Elle reste dans la juste distance tant qu’elle ne tombe pas dans un exhibitionnisme morbide. J’aime beaucoup la remarque du Pape François[6]… qui, à propos du fils prodigue, montre que ce dernier est prêt à tout dire mais que c’est le Père qui l’arrête. A ce titre l’accompagnateur doit lui aussi trouver la juste distance dans l’accueil des confidences en particulier dans le domaine de la chasteté.
Par ailleurs, le séminariste doit apprendre à trouver aussi une juste distance en particulier dans ses amitiés et ses relations féminines. Il faut bien se dire que c’est la vie propre du prêtre diocésain que de travailler avec toutes les catégories de la population et en particulier avec les femmes. Autant avoir des critères clairs sur la manière de se comporter. Dans ce domaine, il y a des critères culturels très importants qui permettent d’apprécier l’attitude. En France, on n’imagine pas deux garçons se tenir par la main sans les soupçonner d’homosexualité. Dans certains pays d’Afrique, c’est simplement le signe d’une amitié.
Xavier Lacroix, a donné une bonne analyse de la distinction entre amour et amitié. J’en ai fait un tableau que l’on peut donner aux jeunes de telle sorte qu’ils pourront éventuellement relire le mode de relation qu’ils entretiennent avec leurs ami(e)s.
Si une relation commence à me troubler, il peut être utile de vérifier loyalement, c’est-à-dire en conscience et sans se mentir où j’en suis dans cette relation. La grille de lecture peut y aider.
D. Tenir debout.
La chasteté, disais-je, ne trouve sa pleine dimension que dans la confiance. C’est une découverte importante que le séminariste doit faire que d’éprouver la joie de la confiance honorée. Cela suppose que l’institution du séminaire mette en place des lieux et des moments de confiance. De ce point de vue, elle prend nécessairement le risque des échecs. Mais ceux qui ne voudraient aucun échec en mettant tout sous contrôle dans leur maison risquent fort de voir les séminaristes exploser dès qu’ils auront quitté l’institution du séminaire.
De ce point de vue, l’apprentissage de la chasteté passe par l’effort éducatif de permettre au séminariste de « se tenir » alors même que l’institution n’est plus là pour le soutenir dans la gestion de ses horaires, de sa prière, … Nous le savons tous, ceux qui écoutent la parole et la mette en pratique n’évitent pas les torrents, les vents et les pluies, mais ils tiennent debout ! (Cf. Mt 7). C’est toujours prendre le risque de le voir rentré un peu « cabossé » mais il n’y a pas d’éducation sans ce risque-là. Imaginez un papa qui veut apprendre à son fils à faire du vélo mais qui ne lâcherait jamais le vélo de peur qu’il ne tombe ?
Nous connaissons tous le proverbe : « quand le chat est parti, les souris dansent ». C’est-à-dire, dès que l’autorité est partie, les barrières tombent, et on fait n’importe quoi. Autrement dit, l’enjeu de toute éducation et de l’éducation affective en particulier est celui-ci : comment le chat peut-il apprendre à vivre sans lui ? Une mauvaise manière serait de surcharger le « surmoi »[7] de telle sorte que quelle que soit le lieu où se trouve le séminariste il n’ose transgresser la loi en raison de cet « œil » permanent que l’on aurait mis en lui à son insu – ce qui ne serait pas du tout être chaste à son égard évidemment. Ou bien c’est par une adhésion au Christ et par le désir de l’imiter et de le suivre que le séminariste qui est avant tout un disciple du bon maître vit sa chasteté. On passe alors d’une chasteté crispée à une chasteté heureuse nettement préférable. C’est cette dernière que l’équipe éducative doit viser.
Pour le dire de manière un peu plus ramassée, on ne choisit pas le célibat parce qu’il le faut bien mais parce qu’Il le vaut bien ! Non pas parce que c’est le passage obligé pour être prêtre, mais parce que le Christ vaut l’effort que suppose un tel choix de vie.
Je ne veux pas dire qu’il faut ignorer des règles de prudence, il en faut bien sûr et j’en donnerai moi-même quelques-unes. Mais elles sont au service de cette chasteté libérante que nous cherchons à promouvoir. Entendons par « libérante » une chasteté telle qu’elle libère les énergies pastorales et la fécondité du ministère parce qu’elle est fondée sur le Christ et non sur la seule volonté du sujet qui peut connaître des faiblesses comme chacun le sait. Cela ne vaut que si le séminariste, et plus tard le prêtre, demeure enraciné dans le Christ par une vraie vie de prière.
Nous pouvons avoir des fragilités. Qui n’en a pas d’ailleurs en matière d’affectivité. Nous pouvons craindre de ne pas garder les dons de Dieu et la promesse que nous avons faite. Mais rappelons-nous que la seule manière pour une cruche fêlée de garder l’eau vive en son sein est de rester immergée dans la source !
Essayons de dresser un tableau[8] rapide de ce que permet la chasteté lorsque nous sommes affrontés aux difficultés et aux tentations fondamentales de ce monde :
Encore une fois, la chasteté est cette vertu complexe qui est un espace de vie, un espace pour vivre. Elle n’évite à personne les difficultés, mais elle permet de tenir debout.
E. Lorsque le jeune connaît de difficultés sur le chemin de la chasteté
A vrai dire cela peut arriver à tous les âges. Mais comment peut-on aider un jeune qui le demande ? Voici quelques critères que vous adapterez en fonction de votre connaissance bien meilleure que la mienne de votre culture.
· Il importe qu’il puisse relire sa vie dans un récit unifié. Qu’il puisse dire « c’est mon histoire ». On ne peut pas la recommencer mais elle n’est pas totalement close en ce sens qu’elle peut-être réinterprétée, réassumée voire objet de guérisons intérieures. En particulier sur la « jeunesse sexuelle » que le séminariste aurait pu connaître avant sa conversion ; ou sur les « rites d’initiations » que son ethnie lui a fait vivre et qui incluaient parfois des rites d’initiation sexuelle d’ordre et de gravité divers ; ou sur sa culture propre qui dans certaines ethnies veut que pour être un homme au sens plénier du terme, il faut avoir pris femme et avoir engendré. En France, il est important que l’on assume le milieu social d’où l’on est issu : populaire, bourgeois, nouveau riche, vieille noblesse, … On ne peut pas savoir où l’on veut aller et surtout comment s'y rendre si on ne sait pas d’où l’on vient.
· Dans cette relecture, il est bon de repérer sur les points difficiles en quoi la liberté du candidat a été engagée ? Il a pu être piégé mais il a pu y mettre sa volonté.
· Lui permettre de passer du stade de l’humiliation (qui clôt le sujet sur lui-même) à celui de l’humilité qui va l’ouvrir à l’avenir.
· Eventuellement lui ouvrir la possibilité d’avoir de la bienveillance sur lui-même, en particulier si cela touche des faiblesses personnelles liées à la masturbation. La frontière entre bienveillance et complaisance est étroite mais il est important de bien la connaître.
· Réfléchir sur les circonstances des faiblesses et travailler à l’évitement des « occasions prochaines ».
· La pratique régulière des sacrements où l’on ne parle pas à demi-mots. L’ennemi de la nature humaine, dit saint Ignace, est comme un amoureux frivole qui agit de nuit et exige le secret. Lorsque son projet est connu, il s’enfuit. Ainsi en est-il de l’enjeu de la transparence dans l’accompagnement spirituel et dans la confession.
· La dévotion mariale. La prière avec Marie qui est nous conduit sur le chemin du disciple qui garde tout ce que dit le Fils dans son cœur et se laisse transformer lentement par ce qu’il reçoit.
· La prière elle-même. « La confrontation à l’Ecriture, au Christ, renvoie à soi, à son histoire, à ses ambiguïtés »[9] et nous décentre vers celui qui nous libère et nous guérit.
· Un hobby, du sport, …
· Le cardinal Malula rappelle que l’accompagnateur ou le recteur du séminaire ne peut se contenter d’observer. Il doit « avertir à temps le séminariste qui aime passer son temps à des causeries interminables avec des filles » qu’il n’est pas sur la bonne voie. Et qu’il faut l’aider à acquérir de la volonté.
· Apprendre à gérer sa solitude. A vivre dans le silence avec soi-même. Cela suppose par exemple que l’on ne mette pas toujours la radio ou la télévision pour tromper le sentiment de vide. Ou encore que l’on range correctement son bureau ou sa chambre pour que l’on ait plaisir à y revenir. Sinon, on risque d’aller traîner dans le quartier.
· Apprendre à vivre avec soi-même comme avec un ami.
· Aimer habiter le temps ordinaire (voir la spiritualité de Madeleine Delbrel).
· Développer le goût de la joie et le dégoût du dégoût. Aller vers sa joie est un chemin sûr.
Bref ! Par le développement de sa conscience morale, les éducateurs permette au jeune d’être l’acteur principal de sa décision. De telle sorte que le jour où les difficultés viendront, et elles viendront certainement, il ait en mémoire une décision claire, prise avec toute la lucidité qu’il pouvait avoir alors. Les difficultés seront plus faciles à traverser.
F. Enseigner la maturité humaine et affective.
Il faut le reconnaître, c’est un art qui suppose beaucoup de tact car on ne connaît pas le détail de la vie de chacun des étudiants et nos propos doivent tenir compte de la grande diversité des jeunes qui peut aller du jeune à la virginité limpide à celui qui a « vécu » comme Charles de Foucauld avant de vivre une vraie conversion et d’offrir sa vie au Christ. Toutes les situations étant possibles, il importe de « sentir » comment nos propos peuvent à la fois encourager ceux qui ont suivi le Christ dès leur jeunesse et ceux qui ont encore des guérisons à opérer.
Il est sans doute préférable que l’enseignant ne soit pas de la maison où il va donner le cours. En effet, une trop grande proximité de l’enseignant avec l’équipe d’animation risque de bloquer les questions avec la peur du renvoi. En revanche, un intervenant extérieur peut entendre plus de questions et être plus libre d’y répondre. On attend de lui cependant qu’il soit loyal aussi avec l’institution. Non pas qu’il doive rapporter qui a dit quoi. Mais qu’il puisse éventuellement faire un compte-rendu global sur l’ambiance du cours, une question récurrente qui mériterait d’être travaillé d’un point de vue communautaire. Si l’exercice se passe bien, cela se saura et les interventions suivantes seront plus faciles. La seule exception serait une copie, forcément écrite au for externe qui révèlerait une immaturité foncière ou dangereuse pour le candidat ou l’Eglise. Il convient alors d’en avertir le supérieur. S’il y a examen, les comptes rendus peuvent avertir l’équipe du séminaire sur une tournure d’esprit quant au jugement moral du futur pasteur.
L’enseignant doit donc être particulièrement exemplaire dans sa manière de faire cours. Il doit être lui-même aussi chaste que possible. Être au clair avec son histoire personnelle et bienveillant à l’égard des étudiants sans vouloir chercher à savoir plus que ces derniers ne veulent dire. Une manière de libérer la parole et qui fait sourire tout en même temps est de suggérer que toute question concerne un ami ou une situation dont on a été témoin quitte à maquiller le cas pour que l’on ne trahisse pas des confidences. Ce à quoi on peut ajouter un caractère de confidentialité dans le cours. On ne répète pas les questions ou les remarques de tel ou tel.
Dans un article fameux, Xavier Thévenot rappelle qu’il faut beaucoup d’humilité pour enseigner le cours d’éthique sexuelle car on ne maîtrise pas du tout la réception de ses propos. On a pu être aussi prudent que possible, mais il peut arriver qu’une phrase banale devienne une information qui réveille une faiblesse chez l’un des auditeurs ou rappelle une faute ancienne oubliée… On ne peut totalement éviter ce risque, d’où la nécessité d’introduire le cours avec des paroles de bienveillance mutuelle voire d’excuses préalables sur ce qui involontairement pourrait réveiller telle ou telle blessure, tel ou tel souvenir douloureux.
L’examen doit pouvoir vérifier plusieurs choses : la maturité du jugement du jeune ; la connaissance des normes de l’Eglise ; la bienveillance pastorale ; le sens de la loi de gradualité. Ce n’est pas très grave s’il n’a pas tous les mots pour décrire et analyser une situation. Mais on doit attendre et sentir la qualité du jugement. C’est le plus important.
G. La prudence sur le terrain
Il ne faut pas être naïf. « L’esprit est ardent et la chair est faible Mt 26, 41 ». Combien se sont laissé séduire ou ont voulu consoler une jeune veuve…
Il y a des règles de prudence que nous mettons en œuvre en occident en particulier en raison de cas d’accusation de viol ou de pédophilie. Et mieux vaut être un peu trop prudent que pas assez.
· Si possible, ne pas mettre de divan ou de sofa dans son bureau. Le risque étant de s’assoir à deux sur le même divan et de finir « par perdre son temps ».
· Ne pas faire monter une femme dans sa chambre. Même « en tout bien tout honneur ». C’est comme si on livrait une partie de son intimité à laquelle cette dernière ne devrait pas avoir accès. Bien souvent, on se ment souvent à soi-même. Et un jour, la fatigue « aidant » on finit par commettre l’irréparable.
· Pas de gestes ambigus. Nous pensons mettre notre bras sur les épaules de cette demoiselle par simple amitié et elle comprend « c’est sûr, il m’aime ». Nous n’avons aucune garantie de l’interprétation de nos gestes affectueux.
· Parce que l’on est « des hommes interdits » en raison de la règle du célibat, certaines femmes s’approchent des prêtres d’autant plus qu’ils sont supposés « sans risque ». Il faut donc une vigilance du cœur, une veille intérieure pour que l’on n’ajoute pas de la fragilité aux situations pastorales.
· Si nous recevons dans un bureau, que tout le monde puisse voir sans pour autant entendre.
· Si nous sommes à la sacristie, que nous ne soyons jamais seuls avec les servants d’autel. Encore moins les faire monter dans sa chambre… D’une manière générale et en raison de la nécessaire lutte contre la pédophilie, que les prêtres ne donnent pas prise au soupçon.
· En ce qui concerne les prêtres des séminaires, il va de soi que leur comportement est éducatif. Il doit être aussi exemplaire que possible. Ainsi, s’il y a un parloir, qu’ils reçoivent les personnes en ce lieu. Sinon, que l’on puisse voir à travers la fenêtre du bureau où ils accueillent. Mais on ne reçoit pas dans sa chambre.
· Est-ce que les prêtres parlent de leurs vacances ? Au lieu d’être de l’oisiveté, elles doivent être organisées même pour le repos.
La liste est sans fin bien sûr. Retenons deux critères majeurs : ne pas donner prise au soupçon ; ne pas se mettre en danger inutilement. Une vigilance ordinaire du cœur devrait nous y aider.
V. Que l’Eglise toute entière veuille le célibat des prêtres
Le schéma sur la boucle des conditionnements éthiques a manifesté combien les facteurs sociaux étaient importants comme composants de notre conduite. L’Eglise, le peuple de Dieu, est une part importante de la société. Or nous constatons en France que probablement plus de la moitié des catholiques ne soutiennent pas le célibat des prêtres et seraient prêts à admettre sinon une liaison, au moins « le mariage des prêtres ». Et sans doute en est-il de même au Congo.
De plus, dans un certain nombre d’ethnies d’Afrique et du Congo, nous savons que pour être un homme capable de prendre la parole, il faut avoir pris femme et avoir engendré. Si la communauté chrétienne ne soutient pas très fermement le célibat de ses prêtres, il ne faut pas s’étonner qu’ils finissent par faillir à leur parole.
Il faut donc encourager la formation des communautés chrétiennes sur l’estime du célibat des prêtres comme un état de vie qui les aide en profondeur, en particulier pour les couples mariés, autant que les prêtres ont besoin de la fidélité des couples pour vivre leur célibat jusqu’au bout. Cela passe par un regard chrétien tant sur le mariage que sur le célibat.
A. Mariage : Jésus renverse la perspective
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que dans le premier testament les images les plus fortes pour dire la relation entre Dieu et son peuple ont été empruntées au domaine de la vie conjugale et familiale. C’est l’expérience humaine qui a été perçue comme la plus pertinente pour approcher le mystère de Dieu. Benoît XVI n’a d’ailleurs pas hésité à affirmer que « Eros était un amour ascendant qui permettait d’aller à la rencontre de Dieu ».
Le lecteur du Nouveau Testament constatera tout aussi facilement que le surgissement de la figure du Christ a renversé la perspective. C’est en contemplant la figure du Christ donnant sa vie pour son Eglise que la communauté chrétienne a compris l’attitude du bon maître devait être un modèle pour toutes les relations humaines : conjugales, familiales mais aussi dans le monde du travail (Cf. Ep 5, 21-6). D’une certaine manière, le disciple du Christ qui choisit de vivre le mariage se trouve convoqué à vivre le don de soi pour son conjoint : « Soyez soumis les aux autres dans le Christ » ; « Maris donnez votre vie pour vos femmes » ; « Femmes soyez soumises à vos maris ». Chaque sexe offrant sa vie au conjoint selon une manière qui lui est propre. Encore une fois, il faut être attentif. Il ne s’agit de soumettre l’autre d’une quelconque façon mais bien de s’offrir à l’autre.
En ce sens, peut parler du renouvellement du mariage. Mais comme on va le voir, ce renouvellement est plus profond qu’on ne l’imagine.
B. Inventer le célibat, c’est réinventer le mariage.
En effet, Jésus, en Mt 19, 10-12, « invente » le célibat pour le Royaume des cieux. Or, inventer le célibat, c’est ipso facto réinventer le mariage en lui faisant perdre l’évidence du mode de vie quotidien. Si le célibat devient un choix possible, alors le mariage devient l’autre choix. Il n’est donc plus une évidence absolue où la seule question était de savoir avec qui vivre le mariage. Désormais, le célibat renvoie une autre question : pour quoi, en vue de quoi se marier ?
En régime chrétien, le célibat en vue du Royaume des cieux et le mariage sont interdépendants. Pour comprendre ce qu’ils sont, ils ont besoin de l’autre mode de vie. C’est pourquoi il est étonnant de voir en pratique la majorité des couples mariés à l’Eglise ne pas soutenir le célibat des prêtres et plaider pour qu’ils aient une vie conjugale. Sans s’en rendre compte ils agissent contre eux-mêmes.
Mlle Claude Plettner évoque dans son livre « le corps bouleversé »[10] les apports mutuels que les deux états de vie s’offrent l’un à l’autre. « Chacun rappelle à l’autre ce qu’il est appelé à vivre et qui lui manque. Le célibat prend son sens dans sa mise en relation avec l’expérience conjugale chrétienne et la confrontation au célibat évangélique peut faire entrevoir au couple ce dont il est finalement porteur. (…) les gens mariés rappellent aux célibataires chastes que c’est cette vie qui importe, ici et maintenant. Et ceux-ci rappellent aux couples mariés que cette vie n’est pas le tout de l’existence »[11].
Enfin, plus loin, Claude Plettner montre, par ailleurs, que les deux états de vie partagent des combats semblables et qu’ils peuvent ainsi s’encourager à les mener jusqu’au bout.
Couples et célibataires sont appelés au même travail de désillusion pour inscrire leur choix de vie dans le réel de l’Eglise, dans le réel du couple. Chacun fait la découverte, douloureuse au début sans doute, que « Dieu n’est pas un bouche trou de notre désir mais le garant qu’il ne sera jamais comblé. »[12] De plus, « penser que l’on pourrait obtenir dans le rapport avec Dieu cela même qui n’est pas obtenu dans le rapport à l’intérieur du couple, est une illusion. D’un côté comme de l’autre, la partie a le même enjeu : la reconnaissance du manque et la foi nue. Il s’agit de la même vérité cachée du désir »[13].
Tout l’enjeu de ces remarques est de convaincre que le séminariste et l’institution du séminaire auront beau tout faire pour que la spiritualité du célibat pour le Royaume de Dieu soit bien comprise dans une vie spirituelle forte, il faut encore que la communauté chrétienne le porte jusques et y compris dans les traditions des mariages coutumiers.
Le travail qu’il faudrait sans doute faire consisterait à étudier toutes ces traditions qui tiennent tant au mariage et à la fécondité charnelle, à repérer « les pierres d’attente » de la Révélation chrétienne dans la compréhension de leurs traditions et montrer alors que l’accueil d’un prêtre célibataire, par la grâce même de son célibat, soutient et approfondit la grandeur des mariages qu’elles veulent vivre. C’est alors que le prêtre trouvera dans son environnement croyant et social un véritable soutien pour vivre selon l’engagement qu’il a pris. Il y a là un beau sujet de thèse. Avis aux amateurs. A moins que cela n’ait déjà été réalisé, auquel cas, il faudrait diffuser et vulgariser le fruit d’un tel travail.
Car si le prêtre ne se trouve pas soutenu, il risque de trouver une copine « au quartier » et d’avoir un « deuxième bureau » comme on dit. Or un prêtre qui manque à sa parole perd de sa liberté de parole et de sa crédibilité. Il entraîne dans son hypocrisie toute l’Eglise. C’est le péché principal que reprochait Jésus aux pharisiens.
L’enjeu du soutien social et ecclésial du célibat des prêtres est majeur !
© Mgr Bruno Feillet - 9 décembre 2013.
[1] « Contre l’habitude qui nous les incorpore, c’est de désapprendre les apparences qui nous bouleverse – ce qui soudain nous en distancie, nous les révèle dans leur étrangeté primordiale et nous renvoie à cette désappartenance originaire au monde qui le fait objet de nos entreprises. » Marcel GAUCHET
[2] Pape François, Rencontre avec les évêques du Brésil, 27 juillet 2013.
[3] Cardinal Mauro Piacenza, cité par Urbi et Orbi, le 17 mai 2011.
[4] MALULA, J., « Essai de profil des prêtres de l’an 2000 au Zaïre », dans Documentation Catholique N° 1961, 1988, pp.463-469.
[5] Véronique MARGRON, « Vie affective et vie consacrée », in Entre cœur et raison, l’éducation affective et sexuelle, Edifa, Paris.
[6] Pape François, Rencontre des séminaristes et des novices, 8 juillet 2013 : « Je voudrais vous donner un conseil : soyez transparents avec votre confesseur. Toujours. Dites tout, n’ayez pas peur. « Père, j’ai péché ». Pensez à la Samaritaine qui, pour prouver, pour dire à ses concitoyens qu’elle avait trouvé le Messie, a dit : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait », et ils connaissaient tous la vie de cette femme. Toujours dire la vérité à son confesseur. Cette transparence fera du bien, parce qu’elle nous rend humbles, tous. « Mais Père, je suis resté là-dedans, j’ai fait ceci, j’ai détesté »… peu importe de quoi il s’agit. Dire la vérité, sans cacher, sans demi-paroles, parce que tu parles avec Jésus dans la personne du confesseur. Et Jésus sait la vérité. Lui seul te pardonne toujours ! Mais le Seigneur veut seulement que tu lui dises ce qu’il sait déjà. La transparence ! C’est triste quand on trouve un séminariste, une sœur qui se confesse aujourd’hui pour effacer la tâche et demain il ou elle va voir l’un, l’autre et encore un autre : une pérégrination d’un confesseur à l’autre pour se cacher sa vérité. La transparence ! C’est Jésus qui t’écoute. Ayez toujours cette transparence devant Jésus présent dans le confesseur ! Mais c’est une grâce. Père, j’ai péché, j’ai fait ceci, ceci, cela… avec tous les mots. Et le Seigneur te serre dans ses bras, il t’embrasse ! Va, et ne pêche plus ! Et si tu reviens ? Encore une fois. Je dis cela par expérience, j’ai croisé tant de personnes consacrées qui tombent dans ce piège hypocrite du manque de transparence. « J’ai fait ceci », humblement. Comme le publicain qui se trouvait au fond du temple : « J’ai fait ceci, j’ai fait ceci… ». Et le Seigneur te fait taire ; c’est lui qui te fait taire ! Ce n’est pas à toi de le faire ! Vous avez compris ? De notre péché, la grâce surabonde ! Ouvrez la porte à la grâce, avec cette transparence ! Les saints et les maîtres de vie spirituelle nous disent que pour nous aider à faire grandir notre vie en authenticité, la pratique de l’examen de conscience est très utile, et même indispensable. Que se passe-t-il dans mon âme ? Comme ça, ouvert, avec le Seigneur, puis avec le confesseur, avec le père spirituel. C’est tellement important, cela ! »
[7] Instance psychanalytique de l’inconscient qui est le lieu de « l’autorité parentale introjectée ». C’est-à-dire le lieu où sont intégrées de façon inconsciente mais pourtant très prégnante les lois éducatives des parents, puis de toute instance éducative.
[8] Inspiré des travaux de Xavier Thévenot.
[9] Véronique Margron, opus cité, p. 85.
[10] Claude PLETTNER, Le corps bouleversé, choisir le célibat, DDB, Paris, 2002.
[11] Ibid p. 146.
[12] Ibid p. 189.
[13] Louis BEIRNAERT, Aux frontières de l’acte analytique, Seuil, Paris, p. 157. Cité par Claude Plettner, p. 190.